Il m'est souvent arrivé d'entendre des conversations sur le site Égalité
& Réconciliation (E&R), fondé par Alain Soral. J'y ai bien souvent
participé, quelque fois les ai-je observé de loin, mais j'ai su en retirer généralement
quelques observations, que la lecture d'un article de Rue89 (1) a récemment permis de renforcer. Il confirme en effet un peu plus ce que
je pensais concernant ce site et la stratégie à adopter à son égard. Contre les
préjugés des antifas épileptiques, engoncés dans leurs dogmes
comme un adolescent dans son premier costume, il illustre assez bien le fait que son public n'est pas un simple
repère de fascistes bas-du-front et de skins au regard bovin : il brasse large
et bien souvent pour des raisons étrangères aux critiques légitimes que l'on
peut faire de Soral et de ce site web.
Cet article appelle donc bien à un combat culturel, que Soral mène, hélas, avec un
certain succès sur le net, sans trouver beaucoup d'opposition. Car en effet,
l'heure actuelle est à un monopole grandissant des milieux soraliens, nazbols
(2), mariniste et néo-droitistes sur tout un filet d'idées, de théoriciens et
de pratiques que le camp socialiste aurait dû protéger, chérir et agressivement
conquérir le cas échéant. La remarque d'une des personnes interviewées en dit
long : il va notamment sur E&R parce que l'on y « parle de Michéa ».
Michéa n'est pourtant pas du tout de ce camp-là, et son dernier entretien à
Marianne (3) le montre bien : s'il reconnaît de la pertinence aux analyses d'un
Alain de Benoist, il dit clairement que c'est au camp socialiste de considérer
ces idées et les reprendre en main dans une perspective différente – l'antilibéralisme
de droite ayant hélas bien souvent partagé nombre de principes avec l'antilibéralisme
de gauche/socialiste/...
Cependant, force est de constater que le camp le plus enclin à citer Michéa et
à en discuter se situe régulièrement à droite, y compris du côté des
républicains. Qui reprend Jean-Claude Michéa et s'en revendique ouvertement ?
Trop souvent des hommes politiques ou médiatiques comme Marine Le Pen et Zemmour, ou des médias comme la
revue Éléments, par exemple, organe important de la Nouvelle Droite qui depuis
sa mutation fin années 80 a de plus en plus repris une galaxie d'auteurs « de
gauche » hétérodoxes (en vrac : Latouche, Caillé, Castoriadis, Lasch,
école de Francfort, etc.). La gauche est bien frileuse à cet égard, et si
Michéa la critique assez férocement, elle la lui rend bien comme l'a montrée la
cabale récente à l’encontre de ce « néo-conservateur » (sic, Le Point).
Dans une telle situation, où le camp « de gauche » délaisse peu à peu
un nombre incalculable d'idées à « la droite », comment s'étonner de
voir que de plus en plus de personnes curieuses et critiques de l'époque se
retrouvent non pas « chez nous » mais chez E&R ? De Benoist,
encore lui, prédisait déjà dans les années 70 que les idées de droite qu'il
professait pourraient très bien être un jour des idées de gauche (4). Force est
de constater que c'est l'inverse qui se produit, et la culture critique penche
de plus en plus vers son camp, avec des défections de gens comme Costanzo
Preve, marxiste critique aux analyses brillantes, qui trouva son salut absurde
chez une Marine Le Pen...(5)
Dans ce marasme intellectuel de gauche, il faut cependant saluer les efforts,
rares mais salutaires, d'une revue telle que l'Offensive (6), ainsi qu'une maison
d'édition exceptionnelle comme l'est L'Échappée (7). Libertaires, ils sont
pourtant les premiers sur le front des idées lorsqu'il s'agit de défendre tout
cet héritage anti-utilitariste, anticapitaliste, décroissant, localiste, etc.
dont Michéa a fait l'une des plus brillantes synthèses. Le dernier ouvrage
publié par l'Echappée (8) qui réunit des gens aussi divers qu'Orwell, Weil,
Illich ou Castoriadis, indique là une intelligence rare, et c'est pour ma part
de ce côté-là que je me sens le plus d'affinités. La revue Offensive cite
Michéa, n'a pas peur de défendre un certain conservatisme, de critiquer la
culture de masse, le capitalisme du désir, comme les dogmes de gauche
(progressisme des moeurs, technophilie, scientisme, étatisme, anti-patriotisme, clivage
gauche-droite, etc.) tout en se distanciant radicalement de la Nouvelle Droite.
Leur combat est noble, il est nécessaire, mais ils sont bien seuls – on peut
aussi penser au collectif castoriadien Lieux Communs (voir blogs amis), à la
revue La Décroissance et bien évidemment au M.A.U.S.S.
Les idées marchent aussi au rapport de force, c'est pourquoi la priorité
absolue aujourd'hui, dans ce domaine, est la constitution d'un pôle de
puissance autonome, un collectif de pensées capable d'attirer vers lui toutes
ces analyses et ces propositions (décroissance, démocratie directe, communautés
organiques, autogestion,...) afin de contrer l'invasion des anticonformistes de
l'autre camp. Maisons d'édition, groupes de réflexion, revues, vidéos,
brochures, tout est bon pour faire pencher la balance de notre côté. Pensez
blanchissage d’idées, mais en positif : une telle communauté de pensée rafraichirait
le camp révolutionnaire, tout en montrant qu’il est possible d’être à la fois
anti-soralien et michéen, socialiste « sans le Progrès » et sans la
Nouvelle Droite. Des idées trop souvent amalgamées à « la Réaction »,
deviendraient ainsi progressivement la propriété légitime d’un camp qui, les
revendiquant, refuserait tout aussi explicitement et d’un même mouvement l’ethno-différentialisme,
l’autoritarisme, le racisme, le sexisme, l’homophobie, le conspirationnisme ou
le fanatisme religieux. Et ce faisant, il pourrait ainsi, plus efficacement et
avec des conséquences plus intéressantes que les inquisitions gauchistes sauce
Yves Coleman, convaincre des indécis sur le point de passer du côté adverse –
mais encore faudrait-il qu’une structure aussi puissante, visible et cohérente qu’E&R
émerge – et par ailleurs empêcher les transfuges intellectuels.
A cela s'ajoute bien évidemment – et même en priorité – un combat social aux
côtés des classes populaires, un combat « total » alliant soutien
et promotion de commerces alternatifs, de coopératives solidaires, de
germes de démocratie radicale, j'en passe. Tout ceci, en conclusion, aurait un
impact bien plus important – et positif – que les simples élucubrations
antifascistes contre LABÊTEIMMONDEUH, qui font certes du bien aux militants en
manque d'adrénaline, mais ne servent pratiquement à rien en-dehors.
(1)
http://www.rue89.com/2013/12/05/egalite-reconciliation-site-soral-aussi-voisin-248089
(2) National-bolchéviques, cherchant en gros à combiner le meilleur du
stalinisme et du national-socialisme, authentiques « rouge-bruns »
que l’on retrouve par exemple du côté de la revue Rébellion (OSRE).
(3) http://www.marianne.net/Michea-face-a-la-strategie-Godwin_a234731.html
(4) « Pour l'heure, les idées que défend cet ouvrage
sont à droite ; elles ne sont pas nécessairement de droite. Je pourrais même
très bien imaginer des situations où elles pourraient être à gauche. Ce ne sont
pas les idées qui auraient changé, mais le paysage politique qui aurait évolué. »,
Vu de droite, éditions Labyrinthe.
(5) Lire « Si j’étais Français », de Costanzo
Preve.
(7) http://www.lechappee.org/